Au cœur de la metamose
ENGLISH BEYOND
Je n'étais pas intéressé par le tatouage.
Non, ce qui m'a toujours attiré, en tant qu'observateur tout d'abord, puis acteur au fil du temps, ce sont les mutations.
Les différents états hybrides d'un être vivant, les stades de composition et décomposition d'un matériau.
Ce sont les traces laissées par le temps, les marques, les empreintes. Ce qui se déplace dans l'invisible, rampe dans les strates souterraines et se glisse à travers les interstices. Ce sont les transparences, les éclats, les veines diluées, la peau, le grain. La synthèse granulaire, qui fragmente et se diffuse comme un parfum dans un champ spatial cartographié par les émotions.
On ne demande pas à comprendre. On intime à ressentir.
Ce sont les fantômes. Ce sont les Ombres, enfouies loin dans la chair, qu'on a fait mine d'égarer. D'oublier. Les masques de la détresse. De la honte.
Je ne tatoue pas.
Je ne fabrique pas de protection, je ne fonde aucune armure.
Je déshabille la peau. Je rends la vulnérabilité plus vulnérable encore, exposée aux yeux d'un monde trop gelé pour redonner son souffle à la flamme.
Je rends ses lettres de noblesse à la fragilité. À la folie. Au chaos, avec tendresse.
Je fais surgir à la surface ce qui est déjà présent, et ce qui se tait. Je fais parler un langage ancestral qui résonnera dans le futur. Des totems. Marques sacrées. Impulsions organiques et électriques, révélateurs de l'Essence, traduction de codes et clés.
Je n'étais pas intéressé par le tatouage.
Enfant, j'ai palpité pour la malédiction d'Ashitaka dans Princesse Mononoké.
C'est mon premier souvenir amoureux épidermique, et mon seul véritable ad vitam.
Son bras effleuré par un dieu-dermographe maudit, envahi par des marques étranges, qui progressaient de manière menaçante et grandiose tout au long du film, qui s'éveillaient même jusqu'à prendre possession de son esprit.
C'est le mot, finalement. Un Esprit. Comment vivre, évoluer avec ?
Plus tard, j'ai été marqué par les connectiques dans les nuques de Ghost In the Shell et par la transformation du bras de Tetsuo dans l'arène d'Akira.
Ces scènes et visions trouvaient un point de résonance profond dans mon être, comme un début de réponse (et de futurs questionnements pour certains quasi-impalpables) à qui j'étais, qui j'allais être amené à devenir et ce que j'allais proposer artistiquement. Non - ce que j'allais proposer humainement.
En tant que réponse profondément humaine, mais aussi en tant que divinité, autrement dit, dépossédé de son propre nom, de son histoire, de ses désirs et tourments ; de ses pulsions, du sexe, du genre - de ce qui faisait que j'étais moi, en somme. Ou du moins, ce que je pensais être moi. Une forme entre deux phases, d'un mouvement bien plus grand que je pouvais nourrir dans mon geste - dans la beauté du geste.
Une idée dans un coquillage. Avec de la fantaisie, et des traumatismes.
J'ai été bercé par les coups, par le besoin de détacher ma peau comme des pétales, par les fleurs du jardin de ma mère, par les rides de son destin funeste et par le sang qu'elle versait sur la moquette de ma chambre en rampant la nuit, déchirée.
Comme Kaneda, j'étais pris aux tripes par quelque chose de plus très humain, aux frontières de l'irréel, sorti des profondeurs de la terre. J'ai été dans la démence, parlé avec la mort et suis revenu avec une créature fantastique, prête à m'entraîner de nouveau avec elle dans les méandres de l'inter-monde.
Assez jeune, j'ai eu le sentiment de ne plus être seul dans mes délires de mutant extatique, face aux Cremaster de Matthew Barney, où la matière émergeante, prenait enfin la vie qu'elle se devait d'avoir, où tout était en état d'instabilité chronique, transfusion, transgenre, muable, infini, décadent et majestueux, grandiose. Un phénomène d'enchantement d'être soi, désenchantement face à la conscience qui s'ouvre et puis de transcendance. Disparaître avec poésie, en célébrant le meilleur et le pire de mon être. Enveloppé de sangsues, caressé par les forêts, marqué au fer par la ville. Puni et jugé pour exister.
La metamose, c'est la nuance qui échappe à la métamorphose. C'est le sourire narquois du flux des choses, face à nos questions, nos recherches, nos projets. C'est la forme manquante, l'invisible qu'on décrypte pour se souvenir qu'on est vivants, qu'on est. Qu'on se tient toujours debout, bien droit et qu'on regarde dans les yeux, profondément. Tant que la métamorphose est incomplète, la metamose opère. Infinite. C'est l'impossibilité de l'erreur face à la grandeur du présent-expérience.
C'est l'Autre, qui dans l'offrande mutuelle finit par s'oublier pour renaître à soi et surtout au sois. C'est le poids de l'histoire qui s'allège, les pages lourdes de nos échecs et nos fiertés qui s'envolent. Un rideau de racines qui se lève comme une illusion, pour de nouvelles lignes et taches qui parsèment le corps.
C'est le murmure des algues, des larves roses, bleu de nuit et noires qui chuchotent des secrets qu'on a pas besoin de répéter ni prouver à qui que ce soit.
La metamose, c'est un enfant avec les yeux grands ouverts qui n'est pas mort à l'intérieur.
Mais c'est aussi une déclaration de guerre.
Une déclaration de guerre contre le monde, contre ceux qui frappent, pulvérisent, violent et refroidissent le cœur humain, jour après jour.
Une déclaration de guerre sans arme, ou bien celle de la Beauté.
C'est un Fungi, une maladie qui se répand dans l'aseptique. Qui fera gronder ceux qui heurtent, et gardera enveloppé dans le silence ceux qui ont compris.
C'est un Insecte qui vibre pour ceux qui n'arrivent pas assez à vivre, et pour ceux qui vivent trop fort. Une fusion, des effusions justes et naïves, un effeuillage.
C'est une prière au vivant, une déesse qui se révolte et se soulève comme une vague puissante.
Ce sont les gouttelettes suffisantes qu'on gardera en hommage à la mémoire de la peau, projetées avec la grâce de l'Ikebana et la fureur du sang qui bât.
Un tissu, une membrane translucide qui dépasse toute forme de technologie.
C'est un nouveau règne, dressé en l'honneur de celles et ceux qui ne renonceront jamais, du chant profond des vivants ;
disparaître et renaître
jusqu'à devenir sa propre Reine et son propre Roi.
In the heart of the metamosis
I wasn’t interested in tattoos.
No, it is something else that caught my attention and fascination, as a watcher at first, and then, the main character of my own fate - mutations.
The different hybrid status of a living being ; the composition and decomposition of the matter.
Traces left by time, marks, prints. What is moving in the invisible, crawling in subterranean strata and sliding through interstices.
Those are transparences, rays, diluted veins, skin, grain. Granular synthesis, fragmenting and spreading like a perfume in a spatial field mapped by our emotions.
I don’t ask anybody to understand. I say : feel.
Those are ghosts. Those are Shadows, hiding deep in the flesh, the ones we pretended to forget.
Masks of distress. Of shame.
I don’t tattoo.
I don’t build up protections, I don’t create armours.
I undress the skin. I make vulnerability even more vulnerable, making it melting in the eyes of a world too frozen to give back its blast to the flame.
I restore fragility to its letters of nobility. To madness. To chaos, with tenderness.
I bring out to the surface what is already here, present and what is silent.
I make speak an ancestral language which will resonate in the future. Totems. Sacred marks. Organic and electric impulses, revealers of the Essence, translation of codes and keys.
No, I wasn’t really interested in tattoos.
As a child, my heart was beating for Ashitaka’s curse in Mononoke Hime.
This is my first epidermal love memory, and my only real ad vitam.
His arm brushed by a dermographe-god, invaded by strange marks, progressing as a threat as a grandiose dream, which even awoke to take possession of his spirit.
This is the word, ultimately. A Spirit. How to live with it, to evolve with it ?
Later, I’ve been in grace with the cyber-human connectic of Ghost in the Shell, and with the transformation of Tetsuo’s arm in the arena of Akira. These scenes and visions found a point of deep resonance in my being, like the beginning of an answer (and upcoming reflexions, for some almost impalpable) to who I was, who I was going to be and what I was going to present artistically. No - what I was going to present humanly.
As a deep human answer, but also as a divinity - in other words, dispossessed of its own name, of its history, of its desires and torments ; of its impulses, of sex, of gender - of everything what made me me, actually. Or at least, what I thought I was.
A form between two phases, taking part of a much bigger mouvement that I could deploy by my own gesture - the gesture of Beauty.
An idea in a shell. With a touch of fantasy, and trauma.
I’ve been fed by blows, by the need of tearing off my skin like petals, by the flowers in my mother’s garden, by the wrinkles of her doom and by the blood she spilled, torn apart, crawling by night on the carpet of my bedroom.
Just like Kaneda, I was caught in the guts by something almost non-human anymore, on the borders of the unreal, out of the depths of Earth. I’ve been in dementia, spoken with death, and came back with a fantastic creature, ready to take me back down with it, in meanders of the inter-world.
Pretty young, I had the feeling of not being alone anymore in my ecstatic mutant incarnations, watching Matthew Barney’s Cremaster, where the emerging matter was finally taking on the life it deserved to have, where everything was in state of chronic instability, transfusion, transgender, infinite, decadent and majestic, grandiose. A phenomenon of enchantment of being oneself, disenchantment of facing consciousness and finally, transcendance.
To disappear with poetry, celebrating the best and the worst of my being.
Wrapped in leeches, caressed by forests, burnt by the city. Punished and judged for existing.
The metamosis, is the nuance that escapes metamorphosis. It’s the smirk of the flow, vanishing our questions, research, projects. It’s the missing form, the invisible that we decipher to remember that we are alive, that we are. That we always stand up straight and look into the eyes, deeply. As long as the metamorphosis is incomplete, the metamosis operates. Infinite. It’s the extinction of the error, against the greatness of the present-experience.
It’s the Other, in a mutual offering to finally forget - escape ourselves. It is the weight of our past which lightens, heavy pages of our failures and all our pride that fly away. A curtain of roots, that rises like an illusion, to let appear new lines and stains on the body.
It’s the whisper of algae, pink, midnight blue and black larvae telling secrets you don’t need to repeat or even to prove to anyone.
The metamosis, is a child with wide open eyes, not dead inside yet.
But it is also a declaration of war.
A declaration of war against the world, against those who strike, pulverise, rape and freeze the human heart day after day.
A declaration of war without any weapon, or the one of Beauty maybe.
It’s a Fungi, a disease that spreads in the aseptic. That will make the offended scream loud, and keep the ones who understand in a silence of coton.
It is an Insect, that vibrates for those who cannot live enough, and for those who live too hard. A fusion, precise and naive effusions, an effeuillage. It is a prayer to the living, a goddess in rebellion, rising like a powerful wave.
These are the sufficient droplets that we will keep, paying homage to the memory of the skin, projected with the grace of Ikebana and the blood flowing with fury.
A tissue, a translucent membrane beyond any form of technology.
It is a new reign, drawn up in honour of those who will never give up, of the profound song of the living ;
To disappear and reborn
Until becoming our own Queens and own Kings.